La mémoire des soldats noirs sud-africains

 Yves Laurin, Président du Comité Français pour l'Afrique du Sud

La part importante prise par les soldats africains des anciennes colonies françaises durant les deux conflits mondiaux a été mise en lumière et commémorée. Moins connue apparaît l’intervention des soldats noirs d’Afrique du Sud qui révèle une situation également très spécifique.

Durant le premier conflit, ce recrutement avait été jugé nécessaire par le cabinet britannique pour soutenir l’effort de guerre qui mobilisait tout l’Empire. Mais, les autorités sud-africaines, déjà fortement ségrégationnistes avaient manifesté une grande méfiance à l’égard de cette initiative. Ainsi, le port des armes n’avait pas été admis et seuls des tâches logistiques et des travaux de main d’œuvre étaient confiés aux soldats noirs.

Ils furent ainsi 21.000, engagés à partir du début de l’année 1917, sur le front de la Somme, dans une unité spéciale : The south African Native Labour Contingent (SANLC).

Dans le même temps, intervenait une formation de conducteurs hippomobiles de la province du Cap, The Cape Corps Auxiliary Horse Transport, composée de 6.000 métis. La proportion de victimes parmi les soldats noirs et métis fut très élevée, soit près d’un homme sur sept : 3.000 soldats noirs sud-africains et 700 soldats métis trouvèrent la mort sur le sol français.

Un épisode dramatique a marqué la venue du contingent sud-africain : le naufrage, en mer du Nord, le 21 février 1917, du Mendi, un bateau de transport de troupes qui coûta la vie à 615 soldats. L’émotion fut très forte dans tout le pays et de manière extraordinaire, la Chambre des Députés d’Afrique du Sud, composée alors exclusivement de représentants blancs, observa, le 09 mars 1917, une minute de silence en leur mémoire.

En France, le cimetière militaire britannique d’Arques-la-Bataille, en Haute-Normandie, rend hommage aux soldats noirs d’Afrique du Sud par un monument gravé en Sotho et Xhosa.

A l’issue du conflit, les droits de la population noire d’Afrique du Sud ne furent cependant nullement pris en compte en dépit d’une démarche quelque peu spectaculaire. Ainsi, à la faveur de la conférence sur la Paix de 1919, une délégation de membres de l’ANC, qui avait été créée en 1912, se déplaça, en Europe, pour remettre au gouvernement britannique un mémorandum en forme de cahier de doléances préconisant un “new deal“ au profit des noirs sud-africains.

Cette requête, bien qu’elle ait échoué concrétisa la naissance d’une opposition démocratique dont la lutte se poursuivra pendant huit décennies.

Toutefois, on notera que pendant la guerre, en 1916, fut créé un collège destiné aux “indigènes d’Afrique du Sud”, à Fort Hare, célèbre pour avoir eu comme élève Nelson Mandela à la veille de la seconde guerre mondiale.

Le second conflit mobilisa davantage de soldats noirs et métis : 120.000 africains furent incorporés mais à nouveau à titre de non-combattants. Le gouvernement sud-africain exprimait toujours les craintes et le mépris placés à l’endroit de la population noire.

Les soldats noirs furent néanmoins instruits pour des missions dangereuses, en particulier de déminage, lors de la campagne de Lybie où ils s’illustrèrent héroïquement.

Le nouveau système international que préparaient les alliés, dès le milieu de la guerre, pouvait laisser entrevoir une évaluation favorable du sort de la population noire d’Afrique du Sud.

Ainsi, en 1943, l’ANC s’appuya sur la charte de l’Atlantique qui annonçait la création de l’ONU pour demander au gouvernement sud-africain d’introduire le suffrage universel.

Le texte de l’ANC s’inscrivait dans une véritable déclaration des droits civils et politiques. Il fut rejeté par le gouvernement sud-africain dirigé par Ian Smuts qui participa cependant de manière active à la fondation des Nations Unies. Par la suite, moins de trois années après la fin de la guerre, les espoirs de la population noire furent cruellement battus en brèche avec l’instauration, en avril 1948, du régime de l’apartheid.

Dès lors, la déclaration universelle des droits de l’homme, votée par les Nations Unies le 10 décembre, ne fut pas adoptée par l’Afrique du Sud qui introduisait, à rebours, un mécanisme de discrimination raciale sans précédent.

Il serait juste, à l’occasion du quatre vingt dixième anniversaire de la fin du premier conflit mondial et plus de soixante ans après la victoire sur le nazisme de rappeler en France la participation des noirs sud-africains aux côtés des armées françaises ; alors que les idéaux de dignité et d’égalité de la personne humaine sont inscrits dans la nouvelle constitution sud-africaine établie après la chute de l’apartheid.