L'importance du concept Ubuntu dans la politique de réconciliation nationale en Afrique du Sud

Alain T.G MAFOUA-BADINGA - Secrétaire général du Comité Français pour l'Afrique du Sud

La notion Ubuntu trouve ses origines dans les langues bantu de l’Afrique Subsaharienne. En lingala, on parle de Bomoto, en Kikongo de Kimuntu, en punu de Butu, en Kinyarwanda de Ubuntu en fang de Obota ; d’où la chanson du gabonais Pierre AKENEGUE : Africa Obota.

Le concept Ubuntu a été illustré avec la fin de l’apartheid en Afrique du Sud en inspirant la politique de réconciliation nationale initiée par Nelson MANDELA.

En effet, en 1995, la commission Vérité et réconciliation menée par Desmond TUTU s’est donnée pour objectif de procéder à des amnisties individuelles aux auteurs de violations de l’homme. En échange, ceux-là s’engageaient à révéler l’intégralité de leurs actions. Cette procédure fait écho à la Constitution sud-africaine, qui énonce le « besoin d’Ubuntu et non de victimisation ».

La signification du concept Ubuntu

Il n’y a pas d’idéologie à l’origine du mot Ubuntu. Le mot Ubuntu n’est pas traduisible facilement. Cependant dans sa diffusion au-delà des langues d’origine, il exprime un rapport entre l’individu et ce qui lui est commun. Une définition commune en donne pour sens « la qualité inhérente au fait d’être une personne parmi d’autres ».

En swahili, on peut rapprocher le mot Ubuntu du verbe « Buni » qui signifie : « Inventer, construire, mettre ensemble ».

Au Bénin, le mot Ubuntu est le nom d’un jeu pratiqué entre les enfants. Le but du jeu est d’arriver à entrer dans le cercle des autres participants.

En Zulu, le terme Ubuntu est presque intraduisible. Il est souvent lié au proverbe « Umuntu ngumuntu ngabantu » signifiant approximativement : « Je suis ce que je suis parce que vous êtes ce que vous êtes » ou d’une manière plus littérale : « Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous ».

Selon Monseigneur Desmond TUTU, auteur d’une théologie Ubuntu de la réconciliation : « Quelqu’un d’Ubuntu est ouvert et disponible pour les autre, dévoué aux autres, ne se sent pas menacé parce que les autres sont capables et bons car il possède sa propre estime de soi, qui vient de la connaissance qu’il ou elle a d’appartenir à quelque chose de plus grand, et qu’il ou elle est diminué quand les autres sont diminués ou humiliés, quand les autres sont torturés ou opprimés ».

En d’autres termes, l’idée d’Ubuntu est celle d’une incitation réciproque d’un partage qui construit mutuellement les êtres. Pour ne l’avoir pas respecté, certainement personnes ont été sévèrement châtiées. C’est ce que rappelle le conte ivoirien du mendiant de Soutilé.

Le terme Ubuntu se rapproche du mot « humanité ». Cependant, le mot humanité ne suffit pas à traduire le mot Ubuntu car il a un sens plus vaste, utilisable pour signifier la qualité applicable à une personne.

C’est là que réside toute l’intelligence mise en œuvre par Nelson MANDELA pour réactualiser ce concept qui va inspirer la politique de réconciliation nationale en Afrique du Sud.

Le recours au concept Ubuntu par Nelson Mandela

Rappelons-le, le concept d’Ubuntu a existé avant la naissance de Nelson MANDELA et survivra après sa mort. Cependant, peu de personne en parlait sérieusement avant sa libération de la prison où il venait de passer 27 ans. Le mérite de MANDELA réside donc le fait qu’il a mondialement popularisé ce concept dès sa sortie de prison.

Durant ses années de prison, MANDELA a compris la quintessence de ce concept et se l’est approprié comme outil pour réaliser son rêve de d’une nation réconciliée.

C’est ce qu’il fit lors du procès de « Rivonia » durant lequel il tint pendant quatre heures une extraordinaire  plaidoirie dans une atmosphère glacée : « j’ai chéri l’idéal d’une société libre et démocratique dans laquelle tous les hommes pourraient vivre en harmonie et avec des chances égales (…). C’est un idéal que j’espère défendre ma vie durant. Mais, s’il le faut, c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir ».

 On sait que ces quelques mots « s’il le faut » ont été rajoutés au dernier moment à l’initiative de Georges BIZOS car MANDELA avait simplement écrit « qu’il était prêt à mourir ».

Georges BIZOS lui a fait remarquer que cela pouvait apparaître comme une invitation, un défi ; MANDELA a réfléchi et a accepté sa suggestion. Depuis lors, les deux personnes n’ont été séparées que par la mort. Ainsi, de manière consciente ou inconsciente, la complicité née de cet échange entre ces deux personnalités a consacré une des applications du concept Ubuntu.

C’est ce qui nous amène à citer un autre exemple de l’appropriation par Nelson MANDELA du concept Ubuntu lorsque celui-ci prit la décision d’apprendre l’afrikaans et de demander à ses codétenus d’en faire autant.

Ce fut pour lui l’occasion d’établir une relation humaine et fraternelle avec ceux qui l’opprimait et le considérait comme un être malfaisant qui aurait dû être condamné à mort car il avait été inculpé de complot visant à renverser l’ordre politique établi.

Ces exemples tirés de la vie de Nelson MANDELA prouvent à suffisance que la maîtrise du concept d’Ubuntu dépend des qualités de chaque personne qui déduit une application qui lui est propre en fonction de sa culture, de son éducation et de ses convictions.

On peut ainsi se permettre de dire que « quand on prend conscience de sa capacité de transformer le monde, l’oppression aura peur de vous ».

C’est ce que MANDELA avait depuis longtemps compris. Ce fut un homme désinhibé qui a eu une liberté qui lui a conféré un culot qui a déconcerté ses compagnons dans un premier temps.

Joe MATTHEWS, son ancien camarade donne plusieurs exemples de la vie de MANDELA que l’on peut interpréter comme autant d’éléments caractéristique de l’appropriation du concept d’Ubuntu : les idées politiques du jeune MANDELA qui se résument à sa connaissance des droits de pâturage de son Transkei natal ou encore des années plus tard lorsque MANDELA, à sa stupeur, a raconté lors du discours prononcé en avril 1952 devant les cadres de l’ANC à l’âge de 34 ans qu’il sera le premier président noir de l’Afrique du Sud.

La générosité de MANDELA, sa confiance en lui, son respect des autres, sa serviabilité et son sens de la vérité étaient autant d’éléments qui manifestaient sa perception de l’Ubuntu.

A travers les différents actes de courage, de générosité que MANDELA avaient posés et de son attitude face à l’oppression, Anthony SAMPSON qui l’a connu au début des années 1950, n’a pas hésité de dire de lui lorsqu’il a été arrêté : « J’ai identifié d’emblée MANDELA comme un chef appelé à changer les cours de l’histoire ».

Pour conclure, quand on explore le fond et les contours du concept Ubuntu et que l’on tente de les appréhender, on réalise que la puissance dégagée par la maîtrise de ses aspects n’a d’égale que la force divine ou ancestrale qui veille sur l’humanité.

Mais, personne ne peut la contenir intégralement car chaque personne ne peut qu’absorber qu’une infime partie dans sa vie terrestre.

C’est ce que MANDELA a compris en mettant en évidence le concept Ubuntu pour réaliser son rêve d’une Nation Réconciliée.