Repères sur l’histoire de l’Afrique du Sud

 L’un des berceaux de l’humanité

Il y a trois millions d’années, l’australopithèque africain, ancêtre de l’homo sapiens, vivait sur le territoire de l’actuelle Afrique du Sud, près de Taung, dans la partie centrale du pays et à Sterkfountein, non loin de Johannesburg.

Plus proche de nous, la présence de l’homo sapiens est attestée à Langebaan, sur la côte atlantique, au nord-ouest de la ville du Cap, par des traces de pas de 117.000 années.

Par ailleurs, à Blombos, à l’Est du Cap, au bord de l’océan indien, a été mise au jour la plus ancienne implantation humaine révélant une expression artistique, vieille de 75.000 années, comme en témoignent des boucles d’oreille en coquillage et un objet aux dessins géométriques incrustés d’ocre.

Des coquilles d’autruche striées par la main de l’homme, datant de la même époque, ont également été découvertes sur la côte atlantique nord.

Cette création se prolonge par un patrimoine de peintures pariétales millénaires que l’on peut observer notamment, dans le massif du Cedarberg, à l’ouest du Cap, et dans le Drakensberg, au nord-ouest de Durban.

L’art pariétal est l’œuvre des premiers habitants de l’Afrique australe, les Sans (ou khoisans) dont les silhouettes ornent le nouveau blason del’Afrique du Sud, introduit après 1994.

Aujourd’hui, l’université de Witwatersrand de Johannesburg héberge l’Origins Centre, inauguré en mars 2006, où est présenté cet héritage exceptionnel dont la mémoire est valorisée et la préservation regardée comme essentielle.

À compter du troisième siècle de notre ère, le patrimoine de l’Afrique du Sud s’est encore enrichi des apports des populations bantoues (Nedebele, Sothos, Tsongas, Tswanas, Vendas, Zulus) venues de régions situées plus au nord du continent.

La colonisation européenne

En 1488, le navigateur portugais Bartholomé Dias accostait près du Cap et ouvrait une voie maritime vers les Indes.

La compagnie des Indes orientales, basée à Amsterdam, décida en 1650 de créer, sur la route des ses comptoirs de l’Inde et de l’Insulinde, une escale au Cap. En son nom, le 6 avril 1652, Jan Van Riebek prit possession du Cap où une colonie de peuplement se développa à partir de 1680.

Quelques milliers de Hollandais auxquels s’associent, entre 1688 et 1700, 225 Huguenots français chassés par la révocation de l’Édit de Nantes forment cette colonie initiale aux frontières progressivement élargies.

L’extension territoriale se produisit au détriment des populations africaines dont le mode de vie pastoral se trouvera, dès cette époque, profondément affecté. Une grande partie de la population Khoisan sera décimée lors de combats de résistance et par la variole importée d’Europe.

A la fin du XVIIIe siècle, l’Afrique du Sud est soumise à la rivalité des puissances européennes. Ainsi, la Révolution française, à l’origine de la fondation de la République batave aux Pays-Bas, suscita en Grande Bretagne la crainte d’une intervention de la France au Cap dont la position géographique était importante pour la maîtrise des mers.

La première occupation britannique aura lieu de 1795 à. 1803. Celle-ci s’imposera de manière durable à partir de 1806.

La Grande Bretagne introduisit ses institutions judiciaires (1828) et parlementaires (1854), et mit en œuvre l’abolition de l’esclavage votée à Londres en 1833. Dans le même temps, la Grande Bretagne instaura une forte politique de peuplement et engagea des conquêtes territoriales provoquant des conflits armés contre les populations africaines, xhosas et zulus.

De nombreux Afrikaners, issus essentiellement de l’émigration hollandaises et huguenote, partiront, lors du grand Trek (1843-1838), vers le nord du pays, pour rechercher de nouvelles terres et se heurteront aux populations ndebele et zulus qu’ils combattront.

Les républiques fondées par les Afrikaners (ou boers), l’État libre d’Orange et le Transvaal entreront en conflit avec la Grande-Bretagne alors que les richesses minières du sous-sol sud-africain, notamment l’or découvert dans la région de Johannesburg en 1871, modifiaient les perspectives du développement du pays jusque là essentiellement fondé sur l’agriculture.

La guerre des boers (1899-1902) fut l’ultime affrontement qui opposa les troupes britanniques aux Afrikanders. Elle donna naissance à de nouvelles institutions qui associeront les anciens belligérants au sein de l’Union Sud-africaine en excluant la population noire de tous les organes représentatifs et en particulier du parlement siégeant au Cap.

Le rejet de l’apartheid

La création de l’Union Sud-africaine fut suivie par une la loi foncière de 1913 (Native Land Act) attribuant 87% des terres à la population d’origine européenne. Ce texte constitue le socle des politiques de discrimination menées, jusqu’au début des années 1990, contre la population noire majoritaire.

C’est en 1912 que le Congrès National Africain (ANC) est fondé pour défendre l’égalité entre tous les sud-africains. Il faudra attendre huit décennies avant que la règle de l’égalité soit inscrite dans la constitution. Nelson Mandela, membre de l’ANC sera intronisé président de l’Afrique du Sud le 10 mai 1994, après avoir été détenu pendant plus de vingt sept années d’août 1962 à février 1990, en raison de sa lutte contre le régime d’apartheid mis en place en 1948.

L’apartheid avait institutionnalisé, dans tous les domaines, une discrimination basée sur la théorie du « développement séparé » qui privait la grande majorité de la population, soit plus de 85% du pays, de ses droits fondamentaux. Ce régime organisait une ségrégation absolue au sein des zones d’habitation, dans le système scolaire, dans les stades, dans la vie professionnelle et interdisait les mariages mixtes.

Il réprima durement toute opposition interne, notamment dans les townships les cités périurbaines réservées aux noirs comme, en 1976, à Soweto.

Le régime de l’apartheid condamné par les Nations Unies fut l’objet d’un boycott international de plus en plus efficace qui contribua à sa disparition. À l’issue des premières élections au suffrage universel de 1994, la Commission Vérité et Réconciliation, présidée par Monseigneur Desmond Tutu, œuvra pour faire la lumière sur cette période dans un but de réconciliation nationale.

Depuis l’élection de Mandela auquel succéda Thabo Mbeki en 1999, l’Afrique du Sud est engagée dans des programmes de développement pour fournir aux populations les plus défavorisées un accès à l’eau courante, à l’électricité, au logement et à l’éducation.

Par ailleurs, la politique de Black Economic Empowerment (BEE) tend à promouvoir la présence des noirs à des niveaux de responsabilité au sein de toutes les entreprises.

Les grands enjeux de l’Afrique du Sud demeurent une violence élevée, legs de la fin de l’apartheid et une forte contamination par le VIH de la population la plus démunie dont l’accès aux médicaments s’appuie désormais sur une coopération internationale. Pour répondre à ces défis, une mobilisation de tous les acteurs publics et privés de l’Afrique du Sud s’est mise en place.

Les atouts sont ceux d’une démocratie réelle de 45 millions d’habitants dotée d’un pouvoir judiciaire indépendant et irriguée par une société civile active qui connaît depuis plusieurs années une croissance économique supérieure à celle de la moyenne européenne.

L’évolution de l’Afrique du Sud, hôte en 2010 la Coupe du monde de football, est soutenue par la communauté internationale.

Il est souvent tiré, du parcours accompli par l’Afrique du Sud, des enseignements pour la conduite des transitions démocratiques.

La mémoire des soldats noirs sud-africains

 Yves Laurin, Président du Comité Français pour l'Afrique du Sud

La part importante prise par les soldats africains des anciennes colonies françaises durant les deux conflits mondiaux a été mise en lumière et commémorée. Moins connue apparaît l’intervention des soldats noirs d’Afrique du Sud qui révèle une situation également très spécifique.

Durant le premier conflit, ce recrutement avait été jugé nécessaire par le cabinet britannique pour soutenir l’effort de guerre qui mobilisait tout l’Empire. Mais, les autorités sud-africaines, déjà fortement ségrégationnistes avaient manifesté une grande méfiance à l’égard de cette initiative. Ainsi, le port des armes n’avait pas été admis et seuls des tâches logistiques et des travaux de main d’œuvre étaient confiés aux soldats noirs.

Ils furent ainsi 21.000, engagés à partir du début de l’année 1917, sur le front de la Somme, dans une unité spéciale : The south African Native Labour Contingent (SANLC).

Dans le même temps, intervenait une formation de conducteurs hippomobiles de la province du Cap, The Cape Corps Auxiliary Horse Transport, composée de 6.000 métis. La proportion de victimes parmi les soldats noirs et métis fut très élevée, soit près d’un homme sur sept : 3.000 soldats noirs sud-africains et 700 soldats métis trouvèrent la mort sur le sol français.

Un épisode dramatique a marqué la venue du contingent sud-africain : le naufrage, en mer du Nord, le 21 février 1917, du Mendi, un bateau de transport de troupes qui coûta la vie à 615 soldats. L’émotion fut très forte dans tout le pays et de manière extraordinaire, la Chambre des Députés d’Afrique du Sud, composée alors exclusivement de représentants blancs, observa, le 09 mars 1917, une minute de silence en leur mémoire.

En France, le cimetière militaire britannique d’Arques-la-Bataille, en Haute-Normandie, rend hommage aux soldats noirs d’Afrique du Sud par un monument gravé en Sotho et Xhosa.

A l’issue du conflit, les droits de la population noire d’Afrique du Sud ne furent cependant nullement pris en compte en dépit d’une démarche quelque peu spectaculaire. Ainsi, à la faveur de la conférence sur la Paix de 1919, une délégation de membres de l’ANC, qui avait été créée en 1912, se déplaça, en Europe, pour remettre au gouvernement britannique un mémorandum en forme de cahier de doléances préconisant un “new deal“ au profit des noirs sud-africains.

Cette requête, bien qu’elle ait échoué concrétisa la naissance d’une opposition démocratique dont la lutte se poursuivra pendant huit décennies.

Toutefois, on notera que pendant la guerre, en 1916, fut créé un collège destiné aux “indigènes d’Afrique du Sud”, à Fort Hare, célèbre pour avoir eu comme élève Nelson Mandela à la veille de la seconde guerre mondiale.

Le second conflit mobilisa davantage de soldats noirs et métis : 120.000 africains furent incorporés mais à nouveau à titre de non-combattants. Le gouvernement sud-africain exprimait toujours les craintes et le mépris placés à l’endroit de la population noire.

Les soldats noirs furent néanmoins instruits pour des missions dangereuses, en particulier de déminage, lors de la campagne de Lybie où ils s’illustrèrent héroïquement.

Le nouveau système international que préparaient les alliés, dès le milieu de la guerre, pouvait laisser entrevoir une évaluation favorable du sort de la population noire d’Afrique du Sud.

Ainsi, en 1943, l’ANC s’appuya sur la charte de l’Atlantique qui annonçait la création de l’ONU pour demander au gouvernement sud-africain d’introduire le suffrage universel.

Le texte de l’ANC s’inscrivait dans une véritable déclaration des droits civils et politiques. Il fut rejeté par le gouvernement sud-africain dirigé par Ian Smuts qui participa cependant de manière active à la fondation des Nations Unies. Par la suite, moins de trois années après la fin de la guerre, les espoirs de la population noire furent cruellement battus en brèche avec l’instauration, en avril 1948, du régime de l’apartheid.

Dès lors, la déclaration universelle des droits de l’homme, votée par les Nations Unies le 10 décembre, ne fut pas adoptée par l’Afrique du Sud qui introduisait, à rebours, un mécanisme de discrimination raciale sans précédent.

Il serait juste, à l’occasion du quatre vingt dixième anniversaire de la fin du premier conflit mondial et plus de soixante ans après la victoire sur le nazisme de rappeler en France la participation des noirs sud-africains aux côtés des armées françaises ; alors que les idéaux de dignité et d’égalité de la personne humaine sont inscrits dans la nouvelle constitution sud-africaine établie après la chute de l’apartheid.

Un cas d’école, la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud

Yves Laurin, docteur en droit, avocat au barreau de Paris

Dans un enseignement sur les institutions judiciaires, la cour constitutionnelle sud-africaine pourrait être donnée comme référence. Elle est étroitement liée à la réussite de la transition démocratique qui a eu lieu depuis la fin de l’apartheid et les premières élections au suffrage universel de 1994.

 

Son rôle majeur au sein des institutions de l’Afrique du Sud peut être comparé à celui qui a été tenu par la Commission Vérité et Réconciliation, animée par Mgr. Desmond Tutu, dont les travaux organisés en séances publiques et diffusés à travers tous les médias ont été largement salués.

 

Pour sa part, la cour constitutionnelle créée par la constitution intérimaire de 1994, devait contribuer à garantir les droits fondamentaux méconnus par le régime de l’apartheid instauré en 1948 qui s’était opposé au vote de la déclaration universelle des droits de l’homme lors de l’assemblée générale des Nations Unies du 10 décembre 1948.

 

Le juge constitutionnel au coeur de la transition démocratique

 

Les enjeux d’un bon fonctionnement de la cour constitutionnelle étaient très élevés et engageaient pour une grande part l’avenir de la jeune démocratie sud-africaine. Ils restent toujours importants sur un continent où l’idée de Renaissance est reprise de plus en plus fréquemment.

 

Mais, douze ans après sa mise en place, cette cour n’a pas déçu les attentes qu’elle avait suscitées.

 

Sa fondation participe du mouvement favorable au contrôle de la loi par le juge, souvent associé à la notion de judicial review et à l’existence d’un pouvoir judiciaire. Ce courant a nourri les transitions démocratiques du début des années 1990 qui ont pu se développer à l’issue de la guerre froide. En ce domaine, l’Europe centrale et l’Afrique du Sud ont eu des évolutions proches.

 

Les pays européens tels la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie ou la Slovénie, membres de l’Union Européenne depuis l’année 2004 ont créé des cours constitutionnelles tout en maintenant des cours suprêmes de droit commun.

 

La réforme opérée en Afrique du Sud a été similaire. L’idée d’un élargissement aux matières constitutionnelles de la compétence de l’ancienne Supreme Court, qui pouvait s’inspirer du modèle de la cour suprême des Etats-Unis, n’a pas prévalu. Cette cour devenue la Supreme Court of Appeal n’est plus la première juridiction du pays.

 

Il a été choisi de construire de toutes pièces une cour constitutionnelle pouvant être saisie par toute personne ayant été préalablement admise à agir contre un texte législatif soit directement, par voie d’action, soit par voie d’exception et en ce cas sur un recours formé contre une décision de la Surpreme Court of Appeal ou d’une High Court.

 

La prééminence de la cour constitutionnelle est établie par la nécessaire confirmation de sa part de toute décision d’une juridiction de droit commun invalidant un texte de loi. (art.172 -2 -a de la constitution).

 

Enfin, on relèvera le pouvoir d’injonction, sous forme d’orders, dont dispose la cour pour que soient appliqués de manière effective les remedies, ou les mesures propres, selon la pratique des juridiction de common law à concrétiser la mise en oeuvre d’un droit.

 

La cour constitutionnelle se trouve donc investie de grandes attributions. Edifié symboliquement au sommet d’une colline de Johannesburg rebaptisée Constitutional Hill, site d’une ancienne prison, son bâtiment lumineux aux grandes baies vitrées qui accueille des expositions d’artistes sud-africains contemporains a été conçu pour illustrer l’ouverture et l’innovation des institutions post-apartheid de l’Afrique du Sud.

 

Un recours individuel en dernier ressort

 

Les questions les plus aiguës avec lesquelles la nouvelle Afrique du Sud a été confrontée ou mêlée, durant cette courte période, lui ont toutes été soumises. Composée de onze juges, la cour a compétence en dernier ressort dans tout le champ du contrôle constitutionnel en particulier lorsqu’ un recours individuel a été formé par voie d’exception. Ainsi, ont été débattus la peine de mort en Afrique du Sud et son application par un autre Etat en matière de terrorisme international, la contamination par le VIH, le problème de la restitution des terres ou le statut de l’union des personnes de même sexe.

 

La cour a toujours répondu, sans éluder aucune des difficultés dont elle était saisie, en étudiant les jurisprudences d’autres cours suprêmes, en se référant aux traités internationaux et notamment à la convention européenne des droits de l’homme et en acceptant la participation d’amici curiae comme le lui permet son règlement de procédure.

 

Elle a ainsi provoqué d’importantes réformes législatives à partir d’une interprétation très rigoureuse des textes de la constitution intérimaire de 1994 et de la constitution définitive de 1996. Enfin, elle s’est révélée dans certains cas comme un véritable contre-pouvoir, faisant preuve d’une indépendance incontestable.

A cet égard, le choix dans la désignation des juges aura été décisif.

 

Le Président Nelson Mandela nommera, en 1994, comme Président de la cour constitutionnelle l’un des plus éminents juristes d’Afrique du Sud, Arthur Chaskalson, avocat de grand renom qui avait fondé le Legal Resources Centre , association d’aide juridique reconnue pour la qualité et la pugnacité de son action durant l’apartheid.

 

La peine de mort et le terrorisme

 

La première décision de principe prise le 6 juin 1995 porta sur la peine de mort alors que quatre cent personnes se trouvaient condamnées à la peine capitale au moment de l’introduction de la nouvelle constitution et alors que ni celle-ci, ni le législateur n’avaient prévu son abolition.

 

Les débats préparatoires à l’établissement de la constitution n’avaient pas pris position sur la peine de mort et avaient laissé à la cour constitutionnelle cette tâche dans le cadre des procédures pénales qui devaient lui être déférées.

 

Ainsi, pour accepter un recours visant à annuler les dispositions ayant trait à la peine de mort incluses dans la loi sur la procédure pénale de 1977, la cour se référa à l’article 9 de la constitution consacrant le droit à la vie et à son article 11 prohibant la torture, les peines et les traitements cruels, inhumains ou dégradants. Dans les opinions concordantes de plusieurs juges fut également mentionné le concept spécifique à l’Afrique du Sud d’ubuntu généralement traduit par le mot humanité.

 

Après avoir annulé la peine de mort inscrite dans les textes de procédure pénale, la cour émit un order très bref en ces termes : Il est interdit à l’Etat et à ses organes d’exécuter toute personne déjà condamnée en vertu des textes qui viennent d’être invalidés.

 

La portée de cet arrêt fut comprise comme annonçant l’abrogation complète de la peine capitale à laquelle procéda, aussitôt, le parlement sud-africain en supprimant celle-ci de tous les textes qui la mentionnait.

 

Une nouvelle décision en date du 28 mai 2001 reprendra ce débat dans une affaire internationale à grand retentissement où étaient discutées des poursuites pénales conduites contre un réfugié tanzanien devant une cour fédérale de New-York qui était susceptible de prononcer la peine capitale.

 

Le demandeur avait bénéficié d’un asile en Afrique du Sud mais avait été transféré aux Etats-Unis à la requête des autorités fédérales américaines qui le soupçonnaient d’avoir participé aux attentats commis en 1998 contre le personnel et les bâtiments des ambassades américaines de Nairobi et de Dar Es Salam.

 

La Cour constitutionnelle déclarera illégale la remise de ce dernier par les autorités sud-africaines à celles des Etats-Unis et prendra un order pour qu’il soit obtenu que la peine de mort ne lui soit pas appliquée aux Etats-Unis, la cour fédérale de New-York étant en outre expressément destinataire de cet arrêt sans précédent.

 

La Cour constitutionnelle sud-africaine se muait en quelque sorte en juge international et affirmait la prohibition de la peine de mort en matière de crimes relevant d’actes de terrorisme international.

 

L’injonction de la Cour aux autorités publiques dans le domaine de la lutte contre le VIH

 

Le mécanisme de l’injonction, tiré de l’article 172 de la constitution, sera également utilisé à l’égard des pouvoirs publics dans la décision du 5 juillet 2002 relative aux soins à dispenser pour combattre la transmission du VIH de la mère à l’enfant.

 

Le droit aux soins inscrit à l’article 27 de la constitution a été illustré de manière spectaculaire avec cet arrêt rendu dans une instance ouverte par l’association sud-africaine Treatment Action Campaign, engagée depuis 1998 dans la lutte contre le VIH qui affecte cinq millions de personnes selon les sources du ministère de la santé et de l’ONU, soit plus de 10% de la population du pays. La cour souligne la gravité de pandémie et va apparaître comme un contre-pouvoir qui orientera par sa décision la politique de santé du gouvernement.

 

L’association requérante avait été à l’origine, en avril 2001, d’un accord entre le gouvernement sud-africain et les grands laboratoires pharmaceutiques aux termes duquel ceux-ci s’étaient désistés de leur action très controversée devant la High Court de Pretoria tendant à se voir reconnaître un droit absolu sur les brevets protégeant les médicaments utilisés contre le VIH.

 

De manière concrète une brèche avait alors été réalisée en faveur des médicaments génériques et des importations parallèles.

 

En ce qui le concerne, l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 5 juillet 2002 fut le point de départ d’un changement dans la politique du gouvernement sud-africain.

 

Des injonctions (orders), sans ambiguïté, furent émises contre le ministère de la santé partie principale à la procédure.

 

Préalablement, la cour constitutionnelle, pour affirmer l’étendue de son pouvoir d’injonction, mentionnera des précédents de cours inférieures des Etats-Unis soutenus par la Cour suprême ainsi que les jurisprudences de la Cour suprême de l’Inde, de la Cour fédérale d’Allemagne et de la Chambre des Lords britannique admettant une telle technique. La Cour constatera que la protection judiciaire des droits les plus fondamentaux ne peut être affaiblie par le principe de la séparation des pouvoirs.

 

En l’espèce, la Cour constitutionnelle retiendra, après un débat scientifique contradictoire, la valeur curative du traitement à base de nivaprine et ordonnera en particulier au gouvernement, sans délai, de lever les restrictions qui entravent dans les hôpitaux publics et les cliniques la diffusion de la nivaprine produit ayant pour effet de réduire le risque de la transmission du VIH de la mère à l’enfant du VIH.

 

Cette décision sera acceptée par les autorités sud-africaines et aujourd’hui, l’association Treatment Action Campaign, auteur du recours est consultée par le gouvernement.

 

La restitution des terres ancestrales

 

Une longue procédure, de près de dix années, aux fins de restitution de terres ancestrales s’achèvera devant la Cour constitutionnelle en 2003. Elle fut conduite par les membres de la communauté de la région de Richtersveld, située au nord-ouest de la ville du Cap, en vue de mettre en échec des actes d’expropriation commis depuis 1847 par les autorités britanniques puis sud-africaines.

 

Le propriétaire, dont les titres se trouvaient en cause, était l’État sud-africain venant aux droits de la couronne britannique. Il s’agissait de terres d’origine pastorale où des gisements de cuivre avaient toujours été exploités par les membres de la communauté requérante et sur lesquelles des mines de diamant avaient été découvertes dans les années 1920.

 

La population africaine des namas qui y vivait en avait été dépossédée depuis un siècle et demi, mais de manière continue avait exercé ou fait valoir des droits sur ses terres. A cet égard, la Cour valide, au regard de la constitution, la loi coutumière des namas basée sur un droit de propriété avec usage collectif.

 

Plusieurs conditions ont été posées par le législateur sud-africain en 1994 pour que soit admise une action en restitution. D’une part, une communauté, soit un groupe de population, est habilitée à agir devant la Land Claims Court. Elle doit avoir été dépossédée depuis la date du 19 juin 1913 qui correspond à celle de la loi ayant attribué 85% des terres d’Afrique du Sud à la population d’origine européenne. En outre, la dépossession doit résulter de textes ou de pratiques basés sur une discrimination raciale. Enfin, la demande est à introduire avant le 31 décembre 1998.

 

Dans son arrêt du 14 octobre 2003, la Cour constitutionnelle confirma la décision de la Cour supérieure d’appel accueillant les droits de la communauté de Richtersveld sur le recours formé contre le jugement de la Land Claims Court qui avait rejeté la demande initiale.

 

Elle précisera que cette communauté détenait, en vertu de la loi coutumière (indigeneous law ou customary law), la propriété des terres auquel est attaché le droit aux minerais et aux pierres précieuses. La cour rappellera que la constitution, dans ses articles 39 et 211.3, donne force de loi, comme en l’espèce, à la customary law lorsque celle-ci n’est contraire à aucune des dispositions de la Charte des droits fondamentaux (Bill of Rigts) laquelle est incluse dans les articles 7 à 39 de la constitution.

 

Dès lors, la cour pouvait reconnaître les droits coutumiers de la population de Richtersverld comprenant la propriété des terres et les richesses minières que celles-ci recèlent et ainsi assurer une pleine restitution en constatant que l’expropriation intervenue dans le passé avait pour origine des mesures discriminatoires de nature raciale.

 

Le statut de l’union des personnes de même sexe

 

La législation discriminatoire de la période de l’apartheid ne pouvait bien entendu imaginer le mariage de personnes de même sexe alors qu’elle interdisait le mariage d’un homme et d’une femme appartenant - selon les critères d’une loi de 1949, aujourd’hui abrogée - à des races différentes.

 

Au lendemain de la chute de l’apartheid, la législation sur le mariage de 1961 a été contestée en ce qu’elle définissait le mariage comme l’union exclusive d’une femme et d’un homme. Cette question, en débat notamment en Europe et en Amérique du Nord, avait déjà été tranchée, avant que la cour constitutionnelle sud-africaine ne statue, par cinq Etats, les Pays-Bas, la Belgique, le Royaume-Uni, l’Espagne et le Canada, en faveur du mariage de personnes de même sexe.

 

La cour constitutionnelle invalidera dans sa décision du 1er décembre 2005 les dispositions de la loi de 1961 en vertu desquelles le ministre de l’intérieur s’était opposé au mariage d’un couple de personnes de même sexe.

 

La cour se fondant essentiellement sur le principe d’égalité inscrit à l’article 9 de la constitution prendra une double injonction dont le caractère était, sans précédent, puisque celle-ci s’adressait au parlement.

 

En premier lieu, la cour annulera la définition du mariage admise par la common law sud-africaine et la loi de 1961 car celle-ci ne permettait pas à des couples de même sexe de bénéficier du statut et des droits, avec les obligations en découlant, qui sont accordés aux couples hétérosexuels.

 

De surcroît, l’arrêt précisera à l’attention du parlement que cette invalidation était suspendue pendant un délai d’un an à compter de sa décision dans l’attente d’une modification législative.

 

Il était ainsi demandé au parlement de changer la loi de 1961 sur le mariage avant le 1er décembre 2006, à défaut ce texte dans sa formulation initiale n’aurait plus aucune valeur et serait compris comme autorisant le mariage de personnes de même sexe.

 

L’assemblée nationale votera le 15 novembre 2006 une nouvelle rédaction introduisant l’union civile de personnes de même sexe qui sera contractée devant les autorités compétentes pour célébrer le mariage et offrira des droits identiques à celui-ci.

 

Ainsi, la cour constitutionnelle met à la charge des pouvoirs publics de véritables obligations de faire que ces dernières respectent. La qualité des décisions de la cour suscite, en effet, peu de critiques. Sa jurisprudence reflète toujours les idéaux de la nouvelle constitution qui a marqué la fin de l’apartheid et témoigne d’une solide indépendance.

 

L'actualité de la Cour constitutionnelle d'Afrique du Sud

 

La Cour constitutionnelle d'Afrique du Sud, née en 1994, a illustré en douze années une aptitude à statuer sur les questions les plus difficiles à partir de mécanismes processuels riches en enseignements pour le France. En particulier, le recours individuel par un citoyen est permis devant la Cour pour contester un texte législatif estimé comme portant atteinte à la Constitution.

 

Composé de onze juges; formés par le Barreau ou issus de l'Université, elle a connu, en un temps très court de très grands débats ayant trait notamment à l'application de la peine de mort par un autre État en matière de terrorisme international, à la lutte contre la pandémie du VIH/SIDA, au problème de la restitution des terres ou au statut de l'union des personnes de même sexe. Les réponses de la Cour ont renforcé la lecture de la nouvelle constitution garante des droits fondamentaux.

 

La Cour constitutionnelle, qui est à l'origine de l'abolition de la peine de mort en Afrique du Sud, a réaffirmé son opposition à la peine capitale dans un État tiers la pratiquant, a émis des injonctions envers le gouvernement sud-africain en matière de lutte contre le VIH/SIDA, a validé une procédure autorisant au profit des plus anciennes populations d'Afrique du Sud la restitution de terres comportant des mines de diamant et a jugé que les personnes de même sexe devaient pouvoir s'unir selon une démarche comparable à celle du mariage.

 

La qualité des décisions de la Cour constitutionnelle d'Afrique du Sud, regardée comme l'une des meilleures parmi les juridictions à compétence constitutionnelle, n'est pas contestée. Elle a su traiter des grandes questions dont elle était saisie avec de solides méthodes de travail-en entendant longuement toutes les parties lors de ses audiences-qui ont garanti son indépendance.

Préhistoire et relations entre la France et l'Afrique du Sud

L'héritage des premiers habitants de l'Afrique du Sud, longtemps ignoré ou méprisé, constitue aujourd'hui un élément important dans la construction de la nouvelle Afrique du Sud.

 

Ainsi, la nouvelle constitution reconnaît et soutient les langues des premiers habitants de l'Afrique du Sud formés par les langues "Khoi, Nama et San".

 

Le nouvel emblème de l'Afrique du Sud utilise la langue des Sans pour transcrire la devises sud-africaine "plusieurs peuples unis". En outre, au centre de celui-ci se trouvent placées des silhouettes reproduisant celles que l'on découvre sur les peintures pariétales créées par les Sans. La qualité cet art en Afrique du Sud a suscité des relations scientifiques denses avec la France. Des centaines de sites d'art pariétal existent à travers le pays.

 

Cependant, à ce jour aucune exposition commune n'a été organisée.

 

Le souhait du Comité Français pour l'Afrique du Sud est de mettre en place une telle manifestation scientifique et culturelle. Un accord a été signé entre les deux pays, à cette fin, le 21 mai 2006.

 

La France et l'Afrique du Sud partagent, en effet, les deux patrimoines les plus riches au monde en matière d'art pariétal et de sites préhistoriques.

 

La coopération entre les deux pays en ce domaine est ancienne, née après la première guerre mondiale; elle a eu notamment comme figure de proue l'abbé Breuil qui fit sur place plusieurs séjours. Le souvenir de celui-ci est notamment rappelé au sein de l'Origins Centre inauguré à Johannesgurg au mois de mars 2006 par le président Thabo Mbeki.

 

L'Afrique du Sud a récemment mis au jour, à Blombos, sur l'océan indien, peut-être le site le plus ancien de la présence humaine auquel est rattaché une activité artistique. Il est daté de 75.000 années et comporte en particulier des parures de coquillages et un objet à dessins géomètriques collorés avec l'emploi de pigments à base d'ocre. Sur la côte atlantique ont été également découvertes des coquilles d'œufs d'autruche marqués de traits géométriques dont l'ancienneté est comparable à celle des objets de Blombos.

 

L'Afrique du Sud est enfin considéré comme l'un des berceaux de l'humanité, au regard des ancêtres de l'homme qui y vivaient il y a plusieurs millions d'années.

 

Le Comité poursuit ses travaux pour l'organisation d'une manifestation commune aux deux pays sur le thème de la préhistoire et de l'art pariétal.

Un fonds international d'indemnisation des victimes du racisme

 

La réhabilitation des victimes de toutes les discriminations raciales doit être regardée comme essentielle alors que les tragédies qui ont meurtri le XXe siècle ont encore des conséquences durables de portée économique, sanitaire et sociale notamment en Afrique.

 

Il importe en effet, non seulement, de prévenir et de condamner, mais aussi d’organiser les réparations nécessaires au sein des Etats et au niveau de la communauté internationale.

 

Les mécanismes locaux d’indemnisation, de nature judiciaire ou fondés sur l’arbitrage et la médiation, sont à développer avec le soutien des pouvoirs publics et des organisations non gouvernementales.

 

Un dispositif international paraît en outre indispensable.

 

Objet

 

Un Fond International est créé pour permettre l’indemnisation des victimes de discrimination raciale. Sa compétence bénéficie aux victimes du génocide commis au Rwanda.

 

Il est placé sous l’égide du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme.

 

Il est intitulé : Fond international d’indemnisation des victimes du racisme.

 

Siège

 

Le siège du Fond international d’indemnisation des victimes du racisme est établi sur le continent africain.

 

Financement

 

Le financement du Fond international d’indemnisation des victimes du racisme est ouvert à l’ensemble des Etats membres des Nations Unies, ainsi qu’aux entreprises et à toutes les personnes souhaitant exprimer leur solidarité ou agir à titre de réparation.

 

A cet égard, la Conférence mondiale contre le racisme qui se réunit à Durban (Afrique du Sud) du 31 août au 7 septembre 2001 devrait marquer le caractère universel des engagements contre le racisme en proposant la mise en place d’un Fond international d’indemnisation des victimes du racisme placé sous l’égide du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme.

 

La compétence du Fond bénéficiera aux victimes du génocide commis au Rwanda. Les contributions à ce Fond international proviendraient des Etats, mais aussi des entreprises et de toutes les personnes souhaitant exprimer leur solidarité ou agir à titre de réparation.

 

Il serait justifié que le siège du Fond international d’indemnisation des victimes du racisme soit choisi sur le continent africain dont la mémoire serait ainsi honorée.

 

Les contributions financières peuvent être consenties avec des conditions d’affectation liées à une situation spécifique.

 

Procédure d’indemnisation

 

Les requêtes individuelles ou collectives aux fins d’indemnisation d’un préjudice subi à raison d’un acte de discrimination raciale ou d’un génocide doivent justifier soit :

 

  • de faits reconnus par une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies ou par le Tribunal Pénal International sur le Rwanda, le Tribunal pénal international sur l’ex-Yougoslavie ou le Tribunal pénal international.
  • d’une décision judiciaire ou d’arbitrage, soit d’une mesure de médiation, ayant prévu la compétence du Fond international d’indemnisation des victimes du racisme.
  • d’une décision judiciaire ou d’arbitrage, soit d’une mesure de médiation, dont l’exécution n’a pu être obtenue au sein d’un Etat.