Conférence 15 mai 2002 : Vérité, Réconciliation et Justice

Intervention de Robert Badinter

Robert Badinter, ancien président du conseil constitutionnel

"Un acte de foi dans l'humanité L'expérience de la Commission Vérité et Réconciliation n'est pas de nature judiciaire. Elle représente un phénomène de justice des plus saisissants et d'une extrême complexité. "

"La justice repose en effet, fondamentalement sur le triangle vérité, sanction et réparation. "

"Ici, la sanction apparaît écartée. Subsitent la vérité et le réconciliation et s'y ajoute le pardon accordé comme une reconnaissance du crime. Ce processus possède un caractère éminemment moral où la dimension religieuse apparaît marquée. "

"Exite-t-il un enseignement général à tirer? "

"La grande question de ce début de siècle surgit du siècle précédent, souillé par le crime contre l'humanité et qui aura été caractérisé par l'impunité et non la justice. "

"La vérité doit être établie pour ne pas laisser les victimes subir la double injustice que représenterraient l'absence de peine à l'encontre des responsables et la non reconnaissance des crimes commis. "

"A cet égard, la commission sud-africaine a permis à de nombreuses familles de victimes d'obtenir la reconnaissance des crimes commis sur leurs proches. "

"Cette quête de justice qui a conduit les travaux de la commission a été animée par une dimension morale exigeante dans laquelle s'inscrira l'établissement de la démocratie. "

"La démarche sud-africaine est un acte de foi dans l'humanité et la Commission Vérité et Réconciliation aura accompli cette fonction. "

"Un apaisement a-t-il été atteint au regard du malheur absolu de la vistime? Face à l'avenir, demeure t-il une frustration de justice? Mais, dans les circonstances historiques qui étaient les siennes, l'Afrique du Sud a bien fait. "

"Il doit être souligné l'audace et la dimension morale qui ont soutenu le processus sud-africain et la générosité plus forte encore que le crime, qui est caractéristique "

Témoignage de Denzil Potgieter

Denzil Potgieter, président du Comité de l'amnistie

Avec la fin de l'apartheid, des demandes divergentes s'exprimaient pour reconstruire une nation qui devait être unie et réconciliée autour des meilleurs intérêts du pays. Il s'agissait de surmonter les conflits du passé et de trouver les moyens de motiver les futures générations. La confrontation avec le passé, le déchiffrage de ses énigmes étaient nécessaires pour édifier l'avenir.

Dans cette perspective, les négociations ouvertes au début des années 1990 prévoyaient la mise en place d'une commission qui mènerait l'enquête et établirait, de manière précise, la nature et les causes au conflit.

La loi n°34 de 1995 créait ainsi la Commission Vérité et Réconciliation. Quatre grands principes l'organisaient :

1- Il s'agissait d'un organe indépendant dont les membres étaient choisis parmi des personnalités intégrées, impartiales et acceptées largement par la société civile.

2- Sa durée était limitée dans le temps.

3- Une amnistie était prévue, octroyée à titre individuel, pour les violations flagrantes aux droits de l'homme de nature politique, si celles-ci étaient mises au jour par les acteurs des actes commis.

4- La possibilité pour les victimes d'exposer les abus perpétrés à leur encontre.

Trois comités ont été constitués, à cette fin :

- le comité des victimes qui recevra les dépositions écrites ou orales

- le comité de l'amnistie

- le comité des réparations

La procédure adoptée au sein de la commission reposait sur les règles de la publicité, d'un accès libre et de la transparence. Chaque jour les auditions étaient diffusées à la télévision. Elle devait permettre de comprendre la réalité du conflit et les facteurs qui avaient sous-tendu celui-ci, de préciser le rôle joué par les parties prenantes au conflit et de tirer des leçons pour éviter de retomber dans les graves errements du passé. Les travaux de la commission furent ouverts le 15 décembre 1995 pour une période de six années. 22.000 dépositions de victimes de violations graves furent recueillies.

Par ailleurs, 7.000 demandes d'amnistie furent déposées. A cet égard, 77% des requêtes aux fins d'amnistie furent rejetées pour ne pas entrer dans le champ de compétence de la commission et notamment pour viser des crimes de droit commun. Sur les requêtes qui furent déclarées recevables, représentant 1.600 dossiers, les trois quarts furent admises. Pour sa part, le mécanisme des réparations a été sources d'insatisfaction et d'inquiétude. Aussi, il a été recommandé en 1998 de garantir des indemnisations par des versements semestriels pour un montant de 23.000 rands. Des paiements d'urgence ont également été mis œuvre.

En outre, des manifestations, des monuments commémoratifs et de nouvelles appellations pour des noms de rue ont complété l'action réparatrice. Sans doute, le processus conduit par la commission ne put être pas parfait, mais pour l'essentiel, l'opinion publique y adhéra et y fut favorable. Il contribua à résorber la violence politique qui a disparu et qui n'aurai pas pu être traitée si le choix d'un processus purement judiciaire avait été arrêté. La culture démocratique a été acceptée et illustrée par un règlement pacifique des différends. L'Afrique du Sud est prête à partager son expérience avec ceux qui ont éprouvé des conflits similaires.

Bien entendu, chaque situation doit susciter des solutions propres et originales.

Témoignage de William Kerfoot

William Kerfoot, Legal Resources Centre,Cape Town

"South Africa society has changed. The Constitution makes changes inevitable and safeguards human rights. Civil Society'role and responsability in the transformed South Africa has time and again been shown in the Constitutional Court - recently and significantly in the socio-economic rights cases of Grootboom ant the Treatment Action Campaign where a democratic, and on the whole, benevolent government has been forced to deal with the rights of the poor. "

Témoignage d' André Brink

André Brink, écrivain sud-africain, prix Médicis étranger

"Nous ne sommes peut-être pas allés aussi loin que nous pouvions le souhaiter en 1994. Mais, si nous comparons le pays dans lequel nous vivons aujourd'hui, en 2002, avec celui dont nous avions hérité en 1994, nous avons vraiment franchi une distance presque inimaginable. Et rien de ce qui a été accompli actuellement, non seulement grâce aux efforts du gouvernement, maisi souvent en dépit de ces efforts, aurait été impensable sans le Commission Vérité et Réconciliation. "

Témoignage de Gilian Slovo

Gilian Slovo, écrivain sud-africain, grand prix RFI

"Dès le début, l'idée de compromis politique a été associé aux travaux de la Commission et c'est dans les audiences que cela a été le plus évident. ... C'est quand j'ai moi-même assité à la Commission en tant que témoin de la demande d'amnistie faite par les hommes qui avaient tué ma mère que la question s'est posée à moi avec le plus d'acuité. On parlait de ce qui ce passait dans un endroit précise de l'Angola au milieu des années 1980, quand un des membres, celui qui présidait, en fait, m'a soudain interrompue en disant quelque chose comme :"s'il vous plaît, rappelez moi ce que nous faisions en Angola à ce moment là?"Ce 'nous' m'a transpercé comme une onde de choc car, bien entendu, à cette époque là, il n'y avait pas de 'nous', il y avait seulement deux camps. "