Conférence le 28 janvier 2019 au Sénat "Nelson Mandela, héritage et actualité"

28 janvier 2019, Palais du Luxembourg (siège du Sénat)

Intervenants : Joanna Pickering, avocate (Afrique du Sud), Ludmilla Ommundsen Pessoa, ancienne directrice des Alliances Française du Cap et de Michell’s Plain, Jacqueline Derens, militante anti-apartheid, Georges Lory, Ecrivain, traducteur de Nadine Gordimer, Alain Mafoua, avocat, Nicolas Champeaux, réalisateur du film « le procès de Mandela et les autres », Yves Laurin, président du Comité.

La transition démocratique 

La démarche de Nelson Mandela s’inscrit dans un long cheminement, comme en témoignent ses mémoires Long walk to freedom.

L’une des premières initiatives en faveur de l’égalité des droits en l’Afrique du Sud fut conduite par Sol Plaatje, écrivain, intellectuel, premier secrétaire général du South African Native National Congress (SANNC), organisation créée en 1912, qui prendra le nom d’African National Congress(ANC) en 1923.

Il s’opposera au Land Act de 1913, loi votée par le parlement sud-africain attribuant la quasi-totalité des terres (87%) à la population d’origine européenne. Ses déplacements à Londres en juin 1914 et mai 1919 ne purent infléchir le gouvernement de la Grande Bretagne, l’ancienne puissance coloniale restée très influente en Afrique du Sud.

Le Traité de Versailles de 1919 prévoyait, à l’issue de la première guerre mondiale, la création d’une Société des Nations (SDN), mais laissait inchangée la situation de dépendance dans laquelle était placé le continent africain.

Après la seconde guerre mondiale, l’adoption le 10 décembre 1948 de la Déclaration universelle des droits de l’homme par l’assemblée générale de l’ONU, successeur de la SDN, constituera un texte de référence pour les mouvements de libération.

Alors que le gouvernement d’Afrique du Sud, issu des élections du mois d’avril 1948, installait un régime d’apartheid rejetant la Déclaration universelle des droits de l’homme, de nombreuses associations et des militantes, à l’exemple d’Helen Joseph et d’Albertina Sisulu, s’opposeront au contrôle de la population noire tenue de présenter à tout instant un passbook. L’ANC votera en 1955 la Charte de la liberté (Freedom Charter) inspirée largement du texte des Nations Unies. 

La décennie des années soixante marquée par la violence de la répression gouvernementale dans le township de Sharpeville, le 21 mars 1960, où 69 personnes seront tuées, révélera la sagesse et l’engagement responsable des représentants du mouvement anti-apartheid. Ainsi le Chef Lutuli, président de l’ANC, recevra le prix Nobel de la paix en 1960.  

Le procès Rivonia (1963-1964), engagé contre Nelson Mandela et ses compagnons, annoncera par la voix de ce dernier la transition démocratique évoquée et souhaitée dans le célèbre discours qu’il fera le 9 juin 1964 devant la Cour de Pretoria, conclu en ces termes:

« J’ai combattu la domination blanche et j’ai combattu la domination noire. J’ai chéri l’idéal d’une société démocratique et libre dans laquelle toutes les personnes vivent ensemble en harmonie et avec des opportunités égales ».

Le Conseil de sécurité des Nations Unies avait suivi attentivement ce procès décisif et demandé dans sa résolution en date du 20 avril 1964 l’arrêt des poursuites.

La peine de mort ne sera pas prononcée contre les accusés qui seront condamnés à la prison à perpétuité.

La période des années 1970-1980 est endeuillée par une nouvelle répression, qui frappera en 1976, le township de Soweto et provoquera en trois mois la mort de 700 personnes. 

Les instances de l’ONU, en dépit de certaines réticences, condamneront avec de plus en plus de fermeté la politique d’apartheid. La France, en 1983, cessera tout contact sportif avec l’Afrique du Sud et s’engagera sur la voie d’un embargo économique objet de nombreuses résolutions des Nations Unies.

Hors d’Afrique du Sud, les associations anti-partheid alerteront les opinions publiques.

Nelson Mandela, depuis sa prison, reconnu à l’étranger et soutenu au parlement sud-africain par une grande figure, Helen Suzman, longtemps l’unique député de l’opposition - qui lui rendra visite à Robben Island - deviendra progressivement l’interlocuteur incontournable du régime d’apartheid impressionné par sa détermination et sa rigueur intellectuelle.

Pour sa part, Mgr. Desmond Tutu, archevêque anglican du Cap, proche de Nelson Mandela, reçoit le prix Nobel de la Paix en 1984.

En 1985, Nelson Mandela estimant que les conditions d’une transition démocratique n’étaient pas réunies refuse sa libération que lui proposait le Président Botha dont la politique menait l’Afrique du Sud à un isolement de plus en plus grand.

L’assassinat à Paris, le 29 mars 1988, de Dulcie September, la représentante de l’ANC, au moment où des négociations sérieuses s’amorçaient, fut un drame pour toutes les parties engagées dans la recherche d’une transition pacifique.

Lors de son séjour en France en juillet 1995, comme président de la République, Nelson Mandela rendra hommage à Dulcie September.

Libéré le 11 février 1990, il devint Chef de l’Etat quatre années plus tard le 9 mai 1994, après avoir été, avec son prédécesseur le président Frederik de Klerk, désigné prix Nobel de la paix de l’année 1993. Nadine Gordimer, écrivaine engagée contre l’apartheid, avait reçu pour sa part, en 1991, le prix Nobel de littérature.

Durant cette période 1990-1994, des pourparlers intenses se dérouleront, n’écartant pas toute violence, mais des élections libres au suffrage universel, pour la première fois en Afrique du Sud, pourront se tenir le 27 avril 1994. 

Des avocats qualifiés et courageux, tels qu’Arthur Chaskalson, George Bizos et Dullah Omar ont contribué à la réussite de la transition institutionnelle et juridique.

Les grands outils d’une transition démocratique seront mis en place : l’existence d’un pluralisme politique, la liberté de la presse, le développement d’une société civile avec la présence de nombreuses ONG, un barreau et des tribunaux indépendants mettront un terme à la violence politique et démentiront le chaos annoncé par certains.

Le concept africain d’ubuntu - je suis parce que tu es- éclaire la démarche entreprise en vue de créer après l’apartheid une « nation arc-en-ciel ».  

Cette démarche, sans précédent dans le cours du XXème siècle, donnera naissance à une constitution garantissant les droits fondamentaux (Bill of Rights), dont la protection est assurée par une Cour constitutionnelle pouvant être saisie par toute personne.

Enfin, la Commission Vérité et Réconciliation, qui fonctionnera de 1995 à 1998 sous la présidence de Desmond Tutu, aura ses travaux diffusés en direct à la télévision et à la radio et, même si l’achèvement de ceux-ci suscita des déceptions, elle demeure un exemple.

Nelson Mandela rappellera les défis à venir, en évoquant les paysages de son enfance:c’est lorsque nous avons atteint une colline que nous nous apercevons que d’autres collines doivent être franchies.