Conférence 7 juin 2013 : Transition et Réconciliation

Invité d’honneur : George Bizos, ancien défenseur de Nelson Mandela, Avocat (sc), Afrique du Sud

George Bizos, invité d’honneur du colloque, a été introduit par Yves Laurin, président du Comité. Il a été rappelé que George Bizos en 1941, alors jeune adolescent, a fait acte d’héroïsme, lors de l’occupation de la Grèce par les troupes nazies, en sauvant avec son père la vie de plusieurs soldats néo-zélandais.
En Afrique du Sud, George Bizos, fit la connaissance, sur le campus de l’Université de Witwatersrand, de Nelson Mandela, son ainé, qui participait à une manifestation anti-apartheid après les élections de 1948 gagnées par les partisans de la ségrégation raciale.

George Bizos fut membre de la grande équipe d’avocats conduite par Bram Fischer - à laquelle participa Arthur Chaskalson, futur Chief Justice - qui défendit Nelson Mandela et ses camarades au procès de Rivonia (1963-1964) où la peine de mort fut écartée. Il assura la défense de très nombreuses victimes de l’apartheid et notamment la famille de Steve Biko, militant mort sous la torture.
Après la libération de Nelson Mandela, au début de l’année 1990, George Bizos œuvra  pour la mise en place de la charte des libertés et de la nouvelle constitution d’Afrique du Sud.
Aujourd’hui, George Bizos poursuit son engagement en intervenant aux côtés du Legal Resources Centre (LRC). Il défend notamment des familles de mineurs tués ou blessés lors de la tragédie de Marikana de 2012.
Le barreau de Paris l’a reçu le 11 juin 2013 au Palais de Justice et lui a remis la médaille du barreau en sa qualité d’ancien avocat de Nelson Mandela.

Dans son intervention, George Bizos souligna que « s’il existe certains points communs entre les combats passés et présents, il rejetait formellement tout propos affirmant que peu de choses ont changé en Afrique du Sud depuis la promulgation de la Constitution et la création de la Cour constitutionnelle ».


George Bizos a précisé qu’il « existe toujours des griefs légitimes en Afrique du Sud fondés sur l’absence de services offerts pour faire face à la pénurie de logements et d’emplois décents ; néanmoins, des efforts sont tout particulièrement déployés en matière d’éducation et de santé.
« Si le combat pour répondre aux aspirations de Mandela doit se poursuivre, il est possible que nous sous-estimions les évènements survenus au cours des dix-neuf années de démocratie. De grands progrès ont été accomplis, en particulier en ce qui concerne l’administration de la justice ». Car, pendant l’apartheid, a rappelé George Bizos, « les juges et magistrats, à quelques rares exceptions près, étaient de fervents supporters de l’homme blanc. »

George Bizos a loué la qualité de la constitution sud-africaine, indiquant que « s’il faut attribuer la responsabilité de bon nombres de nos échecs, celle-ci doit l’être aux personnes à qui la mise en œuvre des principes contenus dans notre Constitution a été confiée, mais certainement pas à la Constitution elle-même ».
 

Ouverture : Manuelle Franck - présidente de l’INALCO
Introduction : Yves Laurin - Comité Français pour l’Afrique du Sud

Le colloque de notre Comité sur les thèmes de la transition et de la réconciliation a été ouvert par Madame Manuelle Franck, présidente de l’INALCO et se déroula dans les nouveaux locaux de ce grand établissement universitaire des langues et civilisations créé par la Convention nationale en 1795.

Ce colloque eut lieu à la date anniversaire de la première visite de Nelson Mandela à Paris, le 7 juin 1990. Il bénéficia d’un partenariat avec le journal « La Croix » qui publia dans son édition du jour deux pages « forum et débats » sur l’Afrique du Sud.
Madame Manuelle Franck remercia les organisateurs pour leur initiative, inscrite dans la Saison Afrique du Sud en France inaugurée le 28 mai 2013 par l’éclairage de la Tour Effel aux couleurs de la nouvelle Afrique du Sud.
Une exposition de photos à l’Hôtel de Ville de Paris présentant le parcours de Nelson Mandela « de prisonnier à président » a également illustré la Saison Afrique du Sud dans la capitale.

Grand témoin
Joëlle Bourgois - ancien Ambassadeur en Afrique du Sud

Madame Joëlle Bourgois, ambassadeur de France en Afrique de 1990 à 1995, a rappelé ses entretiens avec Nelson Mandela, et la personnalité exceptionnelle de ce dernier qui sut convaincre, en Afrique du Sud, les plus réticents de la nécessité d’un changement profond et acquit l’estime de tous les responsables politiques français venus le rencontrer ou qui le recevront à Paris.


L’engagement des ONG
Janet Love - directrice du Legal Resources Centre, Afrique du Sud

Le rôle de la société civile, comme aiguillon dans la mise en œuvre de la nouvelle constitution, a été présenté par Janet Love directrice du Legal Resources Centre (LRC) et William Kerfoot avocat au sein de cette ONG créée en 1979 pour lutter contre l’apartheid.

Janet Love a présenté l’action du LRC qui « a gagné maints procès pour la restitution de terres, en faveur du logement, de l’éducation, de l’environnement, du droit des personnes handicapées, des demandeurs d’asile et de ceux atteints par le virus du sida, des procès également contre l’inégalité des sexes, souvent malgré l’opposition des autorités sud-africaines ».

Justice et développement
William Kerfoot - Legal Resources Centre, Cape-Town, Afrique du Sud

William Kerfoot avocat au sein du Legal Resources Centre a pu ainsi rappeler que le Nelson Mandela lorsqu’il était en fonction comme président de l’Afrique du Sud avait accepté que des décisions qu’il avait prises soient annulées par la Cour constitutionnelle.


Nelson Mandela avait alors déclaré « Nous agissons tous sous l’égide de la Constitution et moi, comme président, dois être le premier à manifester mon respect pour la Constitution telle qu’interprétée par la Cour constitutionnelle ».

La génération post-apartheid
Ncumisa Mayosi - avocate, LRC, Afrique du Sud

La génération post-apartheid fut représentée par Ncumisa Mayosi, jeune avocate au barreau du Cap qui insista sur le concept de « transformation » régissant tous les domaines d’activité de la nouvelle Afrique du Sud.


En ce qui concerne les professions juridiques, elle a estimé que « la transformation prendrait encore plus d’une génération pour s’achever » et a indiqué qu’il était encore nécessaire « de construire des ponts entre les différentes races en Afrique du Sud autour de débats notamment sur notre histoire ». Ce sont de tels débats qui permettront « de vaincre la suspicion et la peur encore présentes, pour donner un nouveau souffle à la société sud-africaine »

Une nouvelle donne pour les femmes
Elisa Sidgwick - vice-présidente du Comité Français pour l’Afrique du Sud

Elisa Sidgwick, vice-présidente du Comité Français pour l’Afrique du Sud, qui a effectué une étude importante sur la situation des femmes en Afrique du Sud, a parlé de « la nouvelle donne » inscrite dans les droits consacrés par la constitution. Ainsi, plus du tiers des élus de l’assemblée nationale sont des femmes.
Les nouvelles institutions ont introduit un « Dispositif national en matière de genre » (National Gender Machinery, NGM) comportant une Commission nationale sur l’égalité entre les sexes (Commission on Gender Equlity) créée par le parlement, un Bureau de la condition de la condition féminine (Office on the Status of Women) placé auprès de la présidence de la République) ainsi qu’un Comité de suivi (Joint Monitoring Committee).


En conclusion, Elisa Sidgwick a repris les propos de Sheil Meintjes, chercheuse universitaire sud-africaine : « Dans la lutte pour les droits des femmes, notre partenaire incontournable, ce sont les hommes. Nous avons compris que sans eux, nous ne gagnerons pas la bataille ».
 

Démocratisation du secteur culturel - le cinéma sud-africain
Joachim Landau - Docteur en sciences politiques - Producteur chez Orange

Joachim Landau, docteur en science politique et auteur d’un documentaire sur le nouveau cinéma sud-africain dont il est l’un des meilleurs connaisseurs a exposé les voies du renouveau depuis la fin de l’apartheid : l’arrivée de jeunes cinéastes talentueux et le concours de l’Etat dans des formes comparables à celles que connaît la France.


Il a projeté les bandes annonces de films récents qui illustrent le dynamisme de la création sud-africaine.
 

Vérité et réconciliation, expérience d’Europe
Sébastien Maillard - journaliste, La Croix

Journaliste au quotidien « La Croix » et ancien enseignant à l’Université du Cap, Sébastien Maillard relaya l’espoir en la nouvelle Afrique du Sud que George Bizos avait évoqué, en dépit de difficultés et de la récente tragédie de Marikana où 44 mineurs trouvèrent la mort.


 


Sébastien Maillard se référant au Cap de Bonne-Espérance, nommé d’abord cap des tempêtes assura que « La ‘Bonne-Espérance’ est désormais portée par la Constitution sud-africaine, qui, laissée tel un testament politique, doit pousser le pays à franchir d’autres caps ».
 

Banlieues françaises, témoignage
Mafoua Badinga - avocat, secrétaire général du Comité Français pour l’Afrique du Sud

Secrétaire général du Comité Français pour l’Afrique du Sud, avocat au barreau de Bobigny, Alain Mafoua fit un exposé saisissant, en donnant des éléments comparatifs sur la situation des banlieues françaises et des townships d’Afrique du Sud. Ainsi à la périphérie de Paris des dizaines de nationalités et un large multilinguisme s’expriment.

La précarité des conditions de logement, l’échec scolaire, des difficultés élevées pour trouver un emploi, la présence de gangs, l’existence d’un violence latente pouvant conduire à des émeutes comme en 2005, constituent autant d’indicateurs qui doivent susciter des actions d’ampleur d’ordre économique et social, indissociables des projets en cours visant à créer un « Grand Paris ».
 

Conclusion et synthèse
Christian Vigouroux - président de la Section du Rapport et des Etudes du Conseil d’Etat

Christian Vigouroux, Conseiller d’État, président de la section du Conseil d’Etat, chargée en particulier des relations internationales, conclura le colloque. Mentionnant les transformations importantes réalisées en Afrique du Sud, il indiqua qu’il fut à deux reprises, en France, Directeur de cabinet au ministère de la justice, successivement sous la responsabilité d’une femme ministre blanche et d’une femme ministre noire.


 


Il rappela, en citant le philosophe Alain (1868-1951), la nécessaire vigilance que chacun doit exercer à l’encontre de toute expression raciste.
Faisant référence à l’histoire de France, il évoqua les grands épisodes - de l’Édit de Nantes, mettant fin aux guerres de religion, à la fin du XVIe siècle, aux accords sur la Nouvelle-Calédonie signés entre les représentants de la population d’origine européenne et ceux du peuple Kanak, à la fin du XXe siècle - qui ont mis en place des mécanismes de réconciliation consacrant la reconnaissance des droits de tous.
Les travaux à l’image de ceux conduits, lors du colloque, sont à encourager et à prolonger par des échanges accrus entre la société civile et les institutions gouvernementales